Quand la question éthique s’invite en EHPAD : retour sur un stage infirmier et l’importance d’une approche palliative adaptée
En deuxième année de formation infirmière, j’ai eu l’opportunité de réaliser un stage de plusieurs semaines dans un Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) privé à but lucratif, hébergeant plus de 80 résidents, dont un secteur protégé. J’avais déjà une certaine expérience en EHPAD, ayant travaillé comme aide-soignante auparavant. Cette immersion m’a rapidement confrontée à la problématique de la fin de vie, et aux multiples questionnements éthiques et pratiques qu’elle soulève.
Dans cet article, je souhaite partager une situation marquante vécue en stage : la prise en charge d’un résident âgé, en phase avancée de maladies chroniques et dont l’état de santé se détériorait progressivement. Cette expérience a nourri mon questionnement autour de l’acharnement thérapeutique, des soins palliatifs et de la prise de décision en équipe pluridisciplinaire.
1. Découvrir l’organisation de l’EHPAD
Durant mon stage, la cadre de santé a décidé que, comme étudiant(e)s en 2ᵉ année, nous travaillerions essentiellement avec les infirmières. Les 1ères années effectuaient leurs soins d’hygiène et de confort avec les aides-soignantes pour consolider leurs bases pratiques.
L’équipe infirmière : Trois infirmières au total. Le matin, elles étaient deux pour faire face à la quantité importante de soins techniques. L’après-midi, une seule infirmière gérait l’étage.
Mes missions : J’ai pu suivre chacune d’entre elles, réaliser certains soins autonomes et m’investir auprès des résidents du secteur protégé, notamment via des activités socio-thérapeutiques.
2. La situation de Mr X
La quatrième semaine de stage a été marquée par la situation de Mr X, 95 ans, présent dans l’établissement depuis plusieurs années. À son arrivée, il conservait une certaine autonomie ; mais au fil du temps, en raison de la maladie de Parkinson et d’un cancer de la prostate, il a progressivement perdu ses capacités.
Son état de santé :
Dégradation globale : dénutrition, perte totale d’autonomie, alité en permanence.
Escarre sacrée de stade 4, très douloureuse et difficile à soigner.
Diminution progressive de la communication : son état a évolué vers une forme de mutisme, s’exprimant uniquement par des gémissements.
Traitement antalgique limité (paracétamol, Lamaline en suppositoire) sans évaluation systématique de la douleur (ni Algoplus, ni Doloplus).
Les soins prescrits :
Une perfusion sous-cutanée de G5% (1L/24h) régulièrement utilisée pour l’hydratation.
Des soins de plaies prodigués par une infirmière extérieure le matin, qui laissait des notes dans un dossier papier, sans transmission orale auprès de l’équipe de l’EHPAD.
Problème observé : malgré les signes évocateurs d’une fin de vie imminente (aggravation de l’état général, douleurs constantes, refus d’alimentation), Mr X n’avait pas été déclaré en soins palliatifs par le médecin traitant, qui était externe à l’établissement.
3. L’émergence d’un questionnement éthique
Une prescription de perfusion d’hydratation sous-cutanée pour Mr X a suscité de vives réactions. L’infirmière de l’après-midi estimait qu’il s’agissait d’acharnement thérapeutique, d’autant plus que Mr X semblait souffrir sans recevoir une analgésie suffisante. Elle questionnait le sens de maintenir coûte que coûte un traitement, alors même que le confort du patient n’était pas assuré.
De nombreuses questions se sont alors posées :
Où situer la limite entre soin palliatif et obstination déraisonnable ?
Comment agir si, en tant qu’infirmière, on se sent en désaccord avec une prescription médicale ?
Quel rôle joue l’équipe pluridisciplinaire quand la communication est défaillante (médecin peu présent, infirmière extérieure, cadre qui gère les rendez-vous sans retour systématique aux infirmières, etc.) ?
Comment évaluer la douleur et adapter les antalgiques pour un patient qui ne verbalise plus sa souffrance ?
Comment accompagner la famille, parfois éloignée ou peu consciente de la gravité de la situation ?
Quels sont les moyens pour gérer ses propres émotions en tant que soignant, face à une fin de vie douloureuse qui semble mal encadrée ?
4. Les soins palliatifs : un référentiel essentiel
Les soins palliatifs, tels que définis par la HAS (Haute Autorité de Santé), mettent en avant une approche globale, centrée sur la qualité de vie du patient. Ils impliquent :
L’évaluation et la prise en charge de la douleur (physique, psychologique, sociale et spirituelle).
Un travail coordonné au sein d’une équipe pluriprofessionnelle.
L’absence de traitements « déraisonnables » qui prolongeraient la vie sans améliorer le confort du patient.
Or, dans le cas de Mr X, cette approche était compliquée par un manque de communication et de protocoles écrits. Même s’il existait une volonté de « bien faire » au sein de l’équipe, la difficulté à se concerter (infirmières de l’EHPAD, médecin traitant, infirmière extérieure, cadre) créait de la confusion et du malaise.
5. Rôle et limites de l’infirmière
En France, l’infirmier(ère) est habilité(e) à dispenser des soins préventifs, curatifs ou palliatifs, dans le cadre d’une équipe interdisciplinaire. Cependant, la question qui se pose souvent est : « Peut-on s’opposer à une prescription jugée inappropriée ? »
D’un point de vue légal et déontologique : L’infirmière a un devoir de vigilance et doit signaler tout risque ou tout acte qui lui paraît contraire à l’intérêt du patient. En pratique, elle ne peut pas annuler une prescription médicale, mais doit alerter et demander à reconsidérer la situation.
Le point éthique : Respecter la dignité de la personne, soulager la douleur, éviter l’acharnement thérapeutique. L’infirmière doit se référer aux valeurs du code de déontologie et à son sens clinique pour questionner les décisions.
6. Vers une réflexion globale : la nécessité d’une équipe pluridisciplinaire solide
Les différents intervenants (cadre de santé, médecins, infirmières, aides-soignants, infirmière extérieure, famille) ont chacun un rôle essentiel dans la prise de décision et l’accompagnement en fin de vie.
Des temps d’échange formalisés sont indispensables : réunions de synthèse, transmissions orales et écrites partagées, etc.
Une formation adaptée : Les soignants bénéficient-ils d’une formation spécifique en soins palliatifs, en évaluation de la douleur non verbale, en accompagnement éthique ?
Un soutien psychologique : Voir un résident souffrir ou décéder dans des conditions difficiles peut générer un sentiment d’impuissance ou de culpabilité. Un temps de debriefing contribue à soulager la charge émotionnelle.
Conclusion
Cette expérience de stage en EHPAD a profondément marqué ma pratique et ma vision des soins gériatriques. Elle illustre combien la réflexion éthique et la communication d’équipe sont cruciales pour éviter l’acharnement thérapeutique, reconnaître la nécessité d’un accompagnement palliatif et soulager la douleur.En tant que future ou jeune infirmière, se heurter à de telles situations nous pousse à nous questionner sur nos responsabilités, nos limites et l’importance d’une démarche pluridisciplinaire. Dans le cadre de mes formations en gériatrie, je souhaite transmettre les outils nécessaires pour aborder au mieux ces situations complexes : évaluation de la douleur, protocoles de soins palliatifs, communication avec la famille et la coordination entre intervenants.
Vous souhaitez aller plus loin ?
Partagez en commentaires vos propres expériences en EHPAD ou vos interrogations concernant la fin de vie.
Découvrez bientôt sur ce blog mes futurs articles et présentation des modules de formation autour de la gériatrie à domicile et de l’accompagnement palliatif.
Parce que protéger la dignité et soulager la souffrance restent nos priorités absolues en tant que soignants.
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