L’âgisme : comprendre et lutter contre les discriminations liées à l’âge
Les stéréotypes et les discriminations à l’encontre des personnes âgées prennent de nombreux visages.
Ils font partie de notre quotidien, souvent de manière sournoise et inconsciente. De simples paroles en apparence anodines trahissent pourtant nos représentations du vieillissement et des 'vieux'. Comme toute discrimination, leur impact est sous-estimé.
Que ce soit concernant une personne âgée au volant qui ne roule pas "assez vite" ou encore une personne âgée qui "choisit d'aller faire ses courses un samedi matin, embouteille ainsi le supermarché, alors qu'elle a tout le temps et le loisir d'y aller le reste de la semaine car est à la retraite, alors que "nous", "nous" travaillons...
Qui n’a jamais eu cette pensée ? L’important n’est pas de culpabiliser, mais de prendre conscience.
On appelle ce phénomène “âgisme”, un terme encore peu familier mais dont l’impact est bien réel dans notre société. Comment le repérer ? Comment y faire face, aussi bien dans la vie quotidienne qu’en tant que professionnel de santé ? Explorons ensemble les clés pour mieux comprendre et combattre l’âgisme.
1. Qu’est-ce que l’âgisme ?
Le terme “âgisme” (de l’anglais ageism) a été défini par le Dr Robert Butler en 1969. Il décrit toute forme de discrimination, de préjugé ou de comportement négatif fondé sur l’âge.
Concrètement, cela peut se traduire par :
Des blagues rabaissantes sur le « troisième âge ».
La croyance que les personnes âgées ne sont plus capables d’apprendre ou de s’adapter aux nouvelles technologies.
Un manque de considération dans les décisions sociétales (logement, transport, loisirs).
Des pratiques professionnelles où l’on minimise ou ignore la parole d’un patient âgé.
2. Pourquoi l’âgisme est-il un problème majeur ?
Atteinte à la dignité : Comme toute discrimination, l’âgisme blesse la personne dans son identité et son estime de soi.
Conséquences sur la santé : Les personnes âgées victimes d’âgisme peuvent présenter davantage de problèmes de santé mentale (dépression, isolement social) et physiques (moins de motivation à prendre soin d’elles).
Stéréotypes nuisibles : L’idée selon laquelle “les vieux sont tous fragiles” ou “ils ne comprennent rien” contribue à créer un environnement où on leur retire progressivement la possibilité de s’exprimer et de décider par elles-mêmes.
Frein à l’innovation et à la cohésion sociale : Les talents et l’expérience des aînés sont sous-exploités, et la société se prive de la richesse d’un échange intergénérationnel.
3. Lutter contre l’âgisme en tant qu’individu
Même si l’âgisme est un problème structurel, chacun peut prendre part à la solution au quotidien :
Changer son langage :
Éviter les expressions péjoratives comme “papys” ou “mamies” quand on ne connaît pas la personne.
Bannir les commentaires condescendants tels que “Oh, c’est normal à ton âge”.
Déconstruire ses propres préjugés :
S’informer sur la diversité des parcours de vie après 60 ans.
Reconnaître que le vieillissement est un processus multifactoriel et individuel (toutes les personnes âgées ne sont pas dépendantes ou malades).
Encourager l’inclusion :
Inviter des aînés à participer à des activités, des réunions de quartier, à des projets culturels, etc.
Promouvoir le bénévolat intergénérationnel.
Initiatives comme le logement intergénérationnel, des programmes de mentorat entre jeunes et seniors, ou encore des témoignages d’aînés valorisés pour leur expertise
Valoriser l’autonomie et les capacités :
Éviter de prendre des décisions à la place d’une personne âgée si elle est encore pleinement en mesure de les prendre.
Encourager l’apprentissage continu et l’utilisation de nouvelles technologies pour ceux qui le souhaitent.
4. Lutter contre l’âgisme en tant que professionnel de santé
Dans le secteur médical et paramédical, l’âgisme peut se manifester subtilement ou de manière flagrante :
Reconnaître la subjectivité des symptômes :
Ne pas balayer d’un revers de main les plaintes d’un patient âgé en considérant que c’est “normal de souffrir” avec l’âge.
Adapter l’écoute et la communication pour favoriser l’expression et l’auto-évaluation de la douleur ou de la détresse.
Utiliser les outils d’évaluation adaptés :
Adopter des échelles de la douleur ou des tests cognitifs spécifiques, pour éviter de minimiser un problème.
Tenir compte des comorbidités fréquemment liées au vieillissement sans attribuer systématiquement un symptôme au “grand âge”.
Collaborer avec les équipes pluridisciplinaires :
Faire appel à des gériatres, des psychologues, des assistantes sociales pour une prise en charge globale et personnalisée.
Veiller à la continuité des soins entre l’hôpital, l’EHPAD et le domicile.
Respecter la dignité et l’autodétermination :
Toujours inclure la personne dans les décisions médicales, dans la mesure de ses capacités (respect du consentement éclairé).
Prendre en compte les directives anticipées ou l’avis de la famille si le patient n’est plus en mesure de s’exprimer.
Se former et s’informer :
Approfondir ses connaissances en gérontologie.
Participer à des formations sur la communication avec les personnes âgées, l’évaluation de la fragilité, etc.
5. Les leviers d’action collectifs
Au-delà de l’action individuelle et professionnelle, la lutte contre l’âgisme doit également s’inscrire dans une dynamique plus large :
Sensibilisation du grand public : par des campagnes d’information et des événements culturels intergénérationnels.
Politiques publiques inclusives : encourager le maintien à domicile, l’accessibilité des lieux publics, la mixité générationnelle dans les quartiers.
Refonte des représentations médiatiques : montrer des rôles positifs et variés de personnes âgées dans les films, les séries, les publicités.
Conclusion
L’âgisme, bien qu’il touche majoritairement les personnes âgées, peut en réalité impacter chacun de nous à mesure que l’on avance en âge. Agir pour changer les mentalités, valoriser la diversité des parcours et garantir une égalité de traitement est un combat bénéfique à tous.
En tant qu’individu, remettre en question nos stéréotypes et inclure nos aînés dans la société sont des étapes cruciales. En tant que professionnel de santé, adopter une écoute attentive, utiliser des outils d’évaluation adaptés et faire preuve d’éthique sont autant de leviers pour offrir des soins de qualité, respectueux de la dignité de chacun.
Parce que vieillir fait partie de la vie, lutter contre l’âgisme est avant tout une démarche d’humanisation et de solidarité.
Enfin dans le cadre du débat concernant la fin de vie, suite aux propositions de lois de François Bayrou, je tenais à rajouter que le désir de mettre fin à sa vie chez certaines personnes âgées pouvait être influencé par des perceptions sociétales négatives liées à l'âgisme. Notre société valorise souvent la jeunesse, la productivité et l'autonomie, ce qui peut amener les aînés à se sentir inutiles ou comme un fardeau lorsqu'ils ne correspondent plus à ces idéaux. Cette intériorisation des stéréotypes âgistes peut entraîner une diminution de l'estime de soi, un isolement social et une lassitude de vivre.
Des recherches indiquent que les personnes ayant une perception négative du vieillissement sont plus susceptibles de considérer des options telles que l'euthanasie ou le suicide assisté pour éviter une dépendance anticipée ou la peur de devenir un fardeau.
Il est donc crucial de promouvoir une image positive du vieillissement et de reconnaître la valeur des personnes âgées, indépendamment de leur niveau d'activité ou de contribution perçue à la société. Cela passe par une éducation visant à déconstruire les stéréotypes âgistes et par le renforcement des liens intergénérationnels, afin que chacun se sente respecté et valorisé tout au long de sa vie.
Et si, dès aujourd’hui, nous prêtions attention à nos paroles et à nos comportements ?
Évitons de parler des aînés comme un fardeau, intégrons-les dans nos projets et surtout, écoutons-les. C’est ainsi que nous pourrons, ensemble, déconstruire l’âgisme.
Comments